Il y a quelques semaines, l'Irlande célébrait le cinquantième anniversaire d'un record méconnu. Le hat-trick le plus rapide officiellement vérifié et filmé de l'histoire dans une première division en Europe, œuvre d'un attaquant irlandais star des années soixante, Jimmy O'Connor. TLMSF s'est plongé dans les archives dublinoises de l'époque pour s'offrir un rembobinage footballistique d'un demi-siècle à la découverte de ce coup du chapeau pas comme les autres.
Signalons avant tout que le record “officiel” appartient à Tommy Ross, un écossais qui inscrit trois buts consécutifs en 90 secondes le 28 novembre 1964 lors d'un match de Scottish Premier League entre Ross County et Nairn County. Quarante ans plus tard l'arbitre du match sortait du silence en confirmant que Ross l'a mise au fond trois fois en 1'30'', le record est validé. Néanmoins aucune preuve vidéo n'appuie les propos de l'homme en noir, chacun se fera un avis de la véracité du record. À noter que le buteur avait inscrit lors de cette rencontre un septuplé pour une victoire 8-1. Autre époque...
Les bases du record de Jimmy O'Connor
Revenons à notre record filmé. Le 19 novembre 1967 au nord de Dublin, le jeune Jimmy O'Connor, 19 ans, footballeur irlandais du Shelbourne FC, frappe sans le vouloir à la porte du Guinness Book des records. Il inscrit trois buts en 133 secondes dans une première division irlandais tout feu tout flamme, face au rival de toujours, les Bohemians. Un derby des plus chauds du pays, remporté 3-2 alors que Shelbourne était mené 2-0. Le destin ce jour-là a filé un sacré coup de pouce au triple buteur. Aussi incroyable que cela puisse paraître pour l'époque, le match était retransmit à la TV nationale. Les bandes vidéos ont été retrouvées et authentifiées en octobre 1999 grâce au fruit du travail acharné d'un groupe d'inconditionnels du Shelbourne FC.
Paul Byrne, le président historique des supporters du club et grande gueule du football irlandais était à la tête de ce mouvement. Un témoin privilégié, car le jour de l'exploit, il se trouvait aux premières loges dans les tribunes, du haut de ces sept printemps, accompagné de son père. Il raconte que son lobbying pour faire valider le record avait été appuyé de coupures de presse du lendemain de la rencontre, de la feuille de match officielle, du témoignage de l'arbitre du match Michael Quinn et bien évidement de la ô combien précieuse bande vidéo.
Le record sera reconnu et gravé dans l'histoire, imprimé page 288 de la super edition Millenium du Guinness Book (Livre des records) de l'année 2000.
La preuve en image
Le manque d'exposition
Un exploit cruellement oublié encore aujourd'hui sur le continent européen et au delà. Les medias irlandais ont sauté sur l'occasion pour dénoncer le manque de visibilité du championnat local. Jusqu'à maintenant aucun article en dehors du pays n'a mentionné ce cinquantième anniversaire. Avec des clubs semi-professionels, un calendrier décalé, une météo souvent capricieuse et des équipes très rugueuses, la Airtricity League (Premiere Division Irlandaise) fleure bon le football britanique d'antan. Malheureusement, cette carte postale n'attire ni les supporters ni les medias internationaux se concentrent sur les ligues majeures.
Le football irlandais s'offre tout de même une fenêtre médiatique lors des compétitions internationales grâce à des récents exploits (victoires face à l'Allemagne et l'Italie ces dernières années) ou encore ses fans délurés qui font le bonheur des journaux télévisés et de Youtube.
Mais les Sadio Mané, Robert Lewandowski et autres super hat-trickers européens ont un impact médiatique incomparable au record d'un autre temps en noir et blanc du bon Jimmy dans ce petit championnat du nord de l'Europe. Heureusement, TLMSF vous offre un petit court de rattrapage.
Mais qui es-tu, Jimmy O'Connnor ?
Né en 1946 à Dublin, il se dirige très jeune vers une carrière de footballeur de haut niveau. Ses qualités de vitesse et de conduite de balle tapent dans l'œil de tous les clubs de la capitale irlandaise. En 1965, à 17 ans, il est lancé par l'entraineur/joueur international espagnol (2 sélections) Álvaro Rodríguez Ros dans l'équipe première de Shelbourne FC, club phare du championnat d'Irlande à l'époque. Rapidement, il s'impose comme titulaire et enchaîne les prestations de haute volée. Il ne quittera le club qu'en 1972 suite à une blessure à la cheville, le temps d'inscrire 26 buts en 109 matchs, et se consacra pleinement à son métier de garagiste à la Reg Armstrong Motors, (son parton n'est autre que la star des circuits motos des annees 60' Reginald Armstrong) tout en continuant à jouer sur une patte pour le club local de Landen United.
L'analyse de son record
Simple et modeste, c'est flanqué d'un flegme à toute épreuve que notre héros se souvenait un peu gêné en 1997 : "Lorsque j'ai visionné la vidéo de mes buts, les souvenirs me sont remonté. Après le match autour d'un thé, l'entraîneur m'annonce que je venais de battre ce record. Ca m'a fait marrer. J'étais persuadé qu'il se moquait de moi.”
Le jour du cinquantième anniversaire de son record il y a quelques semaines, l'ancien attaquant a dépoussiéré la boite à souvenirs. À presque 70 ans, ce bonhomme jovial raconte :
“C'était il y a bien longtemps. Je n'ai pas vu les années passées. Mon père était en tribunes et m'a juste dit a la fin du match 'Mon Dieu, c'était terriblement rapide tes trois buts.'
À cette époque il n'y avait pas tant d'engouement pour les records ou les statistiques, mais le lendemain à ma grande surprise, mon hat-trick se trouvait à la une de tous les journaux. J'étais une star pendant une semaine et tout s'est terminé aussi vite que c'est arrivé. Et puis je refais surface 50 ans après. Je suis content qu'il m'appartienne.
Peu après le match, le club m'a offert pour l'occasion un cadeau fabuleux, une montre en or 18 carats. Mais la rencontre suivant mon record, je suis à cotés de mes pompes, je n'en touche pas une et les supporters en tribunes me hurlaient de rendre la montre (rires) !
Nous n'étions pas professionnels, je cumulais mon boulot de footballeur et celui de mécano. Je prenais le bus pour me rendre au match avec les supporters, ensuite on se séparait, ils montaient en tribune et je descendais au vestiaire. C'était le bon vieux temps.”
Une superstar en tribunes
Un homme inattendu ce jour-là n'était certainement pas arrivé en bus avec le peuple mais tout de même présent en tribunes et extrêmement attentif à l'ensemble de la rencontre. Matt Busby, le légendaire manager de Manchester United, avait effectué le court déplacement depuis le nord de l'Angleterre pour faire ses emplettes footballistiques au pays de la Guinness. Busby etait un habitué des weekends à Dublin, Cork ou Galway pour superviser les joueurs en forme de la ligue irlandaise. Néanmoins la performance hors du commun d'O'Connor n'a pas ému le dirigeant mancunien qui était venu scruter un joueur des Bohemians. Dommage !
L'Angleterre n'a tout de même pas été totalement étrangère à sa performance puisque plusieurs scouts ont tourné autour de l'attaquant pendant deux à trois saisons. Leicester s'est montré le plus intéressé sans pour autant proposer de contrat. Le joueur n'a jamais regretté de ne pas avoir fait le grand saut en Grande-Bretagne comme de nombreux compatriotes, lui qui a arrêté sa carrière au plus haut niveau à 25 ans sur blessure.
Un club mythique
En 1967 Jimmy jouait pour le Shelbourne FC. Il marquera 26 buts en 109 matchs entre 1965 et 1972. Un club basé au nord de Dublin, place historique du football irlandais avec 13 titres de champions, 10 coupes nationales et pas moins de 53 matchs de coupes européennes à son actif. Des adversaires aussi prestigieux que le FC Barcelone, le Sporting, l'Atletico, le Panatinaikos, ou encore le LOSC se sont présentés le temps d'une soirée de gala face aux Irlandais. C'est dans les années 1960-70 que Shelbourne entame son aventure européenne, faisant profiter notre Jimmy O'Connor d'une petite exposition internationale le temps de d'un match aller-retour perdu face aux Hongrois de Vasas en 1971. Malheureusement le club ne jouera plus l'Europe les 20 saisons suivantes.
En 2007, alors qu'il s'apprête à lancer une nouvelle campagne de qualification en Champion's League, le club est soudainement retrogradé en deuxième division et privé de compétition continentale pour raisons financières.
Le stade de l'exploit: Dalymount Park
Daymount Park a donc été le temoin privilegié des trois buts éclair de Jimmy O'Connor.
Shelbourne y jouait tous ses matchs à domicile devant des dizaines de milliers de fans qui se déplaçait volontiers au stade, plusieurs décennies avant les retransmissions de la Premier League anglaise à la TV. Au-delà d'avoir été l'hôte du record, l'enceinte possède une histoire extrêmement chargée. Si aujourd'hui on ne compte plus que 4227 places assises, on jouait régulièrement devant + de 40.000 spectateurs entre les années 40' et 80'. Il faisait office de stade national, accueillait les rencontres de l'équipe d'Irlande ainsi que les finales de coupes domestiques. On l'appelait alors “The Home of Irish Football”. La France s'y est d'ailleurs cassé les dents en 1972 (défaite 1-2) en qualification pour la coupe du monde 1974.
En 1999, le Shelbourne FC a acquis son propre stade, Tolka Park où une plaque commémorative détaillant le record de Jimmy O'Connor est fièrement exhibée. Un exploit qui restera à jamais gravé dans l'histoire du football irlandais.
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